top of page
Rechercher
Photo du rédacteurIsabelle Schilling

Comment quitter un job que vous aimez ?

A l’ère de la flexibilité, être capable de passer à autre chose est aussi important que de savoir s’engager.




source: HBR, le 07/11/2019 par Gianpiero Petriglieri

Peut-être avez-vous eu le coup de foudre, ou peut-être vos sentiments se sont-ils développés au fil du temps. Quoi qu’il en soit, vous savez que vous avez ce que tout le monde recherche, et que si peu semblent trouver : un job que vous aimez. Et vous êtes sur le point de le quitter. Comment expliquer votre choix ? Le travail est génial, l’entreprise aussi.

Ce n’est pas eux, c’est vous.

Ce n’est pas qu’un bref moment de tentation, vous y pensez depuis longtemps.

Même s’il est possible que vous regrettiez ce choix, vous devez vous séparer maintenant.

C’est le bon moment. Après tout, vous n’arrêtez pas de vous dire qu’il vaut mieux partir pendant que la décision vous appartient, tant qu’il vous reste des options. Vous êtes trop jeune pour vous poser et trop talentueux pour ne pas être apprécié à votre juste valeur. Vous avez vu ce qui arrive à ceux qui restent. Un beau jour, ils sont remerciés sans ménagement, et pour quoi ? Pour un nouveau talent ? Ou bien leur amour vire lentement à la complaisance, et ils tombent dans le train-train quotidien. Non, vous ne permettrez pas que cela vous arrive et gâche le souvenir d’un bel amour moderne. Parce que, admettez-le, c’est bien cela dont il s’agit. Il y a un siècle, Sigmund Freud disait que, pour mener une vie agréable, il fallait être capable d’aimer et de travailler. De nos jours, semble-t-il, nous devons être capables d’aimer travailler. Nous n’attendons plus simplement du respect, de la sécurité et de l’argent de nos emplois. Nous voulons de la passion, un sentiment d’accomplissement, mais aussi des surprises. En définitive, ce que l’on veut, c’est une histoire d’amour.


Un besoin d’identification

Les entreprises prennent ces désirs très au sérieux et font de leur mieux pour nous séduire. Les gratifications matérielles ne suffisent plus à attirer de nouveaux talents. Leurs fiches de poste vous proposent du sens. Vous aurez des opportunités d’évolution, vous ferez partie d’une communauté, et vous aiderez à changer le monde. Avec de la chance, vous serez peut-être même bien payé. Que demander de plus ?

Les chercheurs ont passé des dizaines d’années à étudier ce qui nous séduit dans les entreprises : l’identification. Nous nous éprenons de celles qui récompensent nos efforts non seulement avec de bons avantages sociaux, mais aussi en nous renvoyant une meilleure image de nous-mêmes. Lorsque nous nous « identifions », nous devenons ce que nous faisons. Nous finissons par nous percevoir d’une manière qui incorpore – littéralement, dans notre corps – les valeurs de l’entreprise. Si mon entreprise est ouverte, rigoureuse et entreprenante, je dois l’être aussi. Lorsque notre organisation excelle, nous avons également l’impression d’exceller. Quand elle rencontre des difficultés, nous aussi. Notre emploi semble être, comme d’autres histoires d’amour, la plus saine et la plus sensée des addictions. Il n’est pas étonnant que nous soyons obsédés par nos jobs et qu’ils nous rendent parfois complètement fous. Tout comme des histoires d’amour. Elles sont exigeantes et peuvent nous consumer. Mais lorsque tout se passe bien, elles nous font nous sentir vivants. Tant que cela dure, du moins.

Je rencontre souvent des gens qui ont des difficultés avec un job ou une entreprise qu’ils aiment (ou qu’ils aimaient). Ils se tournent généralement vers des formations de management qui font office de thérapie de couple pour tenter de mettre de l’ordre dans leurs sentiments contradictoires. Je les comprends bien, car je suis parfois comme eux. Je connais l’hésitation, le léger sentiment de culpabilité, la peur. Suis-je simplement impatient ? Vais-je m’en remettre ? Trouverai-je quelque chose de mieux, ou au moins d’aussi bien ? Et qui vais-je devenir si je pars ? Ces questions sont parfois le signe que nous sommes coincés dans une relation dysfonctionnelle avec notre job. D’autres fois, cela signifie qu’une relation languissante avec ce dernier se transforme en amour mature pour notre travail. La plupart du temps, il y a un peu des deux, mais il est essentiel de les distinguer. Vous devez comprendre pourquoi vous partez avant de pouvoir réfléchir à la meilleure manière de le faire.


Un amour durable

Voici comment savoir si vous êtes dans une relation dysfonctionnelle : vous donnez beaucoup, vous ne recevez pas ce dont vous avez besoin et l’on fait en sorte que vous vous sentiez coupable. Rompre semble difficile, même en cas de situation abusive. Vous vous sentez prisonnier, pour des raisons économiques et psychologiques. Vous voulez partir, mais vous avez l’impression que vous ne pouvez pas vous le permettre et, pour être honnête, vous ne pouvez même pas l’imaginer. Qui seriez-vous ?

Voici comment repérer si votre relation se transforme en amour durable : votre passion tourne au dévouement, et vous commencez à discerner ce qui mérite un tel dévouement. En revanche, vous n’êtes pas sûr qu’être dévoué à un job en vaille la peine. Malgré tout l’amour que vous lui portez, un job ne vous rendra jamais votre amour. Mais vous aimez ce que vous faites, et ce que vous êtes devenu dans ce job. Vous aimez le travail, et les gens que vous rencontrez par son biais. Ils méritent votre dévouement. Si vous parvenez à la conclusion que vous êtes dans une relation dysfonctionnelle, il n’y a qu’une chose à faire pour bien partir. Déguerpir dès que possible. Trouvez le soutien dont vous avez besoin – une offre d’emploi excitante, un groupe d’amis fidèles – et arrachez le pansement d’un coup sec. La blessure guérira plus vite que vous ne le pensez. Même si les dysfonctionnements ne concernent qu’une partie de votre job, faites clairement la distinction entre ces éléments et vous. Lorsque vous aurez compris que vous êtes mieux sans, vous serez libre. Peut-être même au point de rester, à des conditions différentes.

Si vous disposez déjà d’alternatives – une offre intéressante, un soutien suffisant dans votre entourage – et que vous hésitez encore, vous devez adopter une nouvelle approche. Il est possible que votre amour ait glissé de votre job vers votre travail. Dans ce cas, vous devez honorer le premier, et épouser le second. Alors réfléchissez-y à deux fois avant de partir. D’abord pour déterminer ce que vous devez quitter, ensuite pour comprendre ce que vous ne pouvez pas laisser derrière vous. Assurez-vous ensuite de faire le deuil de votre job, et d’emporter avec vous votre travail.

Quitter un emploi qui a fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui – qu’il ait perdu de sa valeur, ou que vous ayez dépassé ce stade, ou les deux – ne peut pas être simple et rapide, et vous ne devriez pas essayer de faire en sorte que ça le soit. Ce serait un affront, et un gâchis d’apprentissage. Prenez le temps de dire au revoir aux gens, aux lieux, et même aux choses. Prenez conscience du moment où vous effectuez une tâche pour la dernière fois, assistez aux réunions avec tout le personnel, et jetez un dernier regard par la fenêtre. Si un pot de départ est organisé, saisissez l’occasion pour créer de beaux souvenirs. Laissez la tristesse s’inviter à la fête. Si des gens vous félicitent, dites-leur que le moment est propice aux condoléances. Si vous êtes triste, vous vous demanderez peut-être si vous n’êtes pas en train de commettre une erreur. Vous devez l’envisager. Mais cela peut aussi vouloir dire que vous avez bien fait les choses depuis le début.

Laissez votre job vous enseigner une dernière chose : savourer la perte. Vous en aurez à nouveau besoin. A l’ère de la flexibilité, être capable de passer à autre chose est aussi important que de savoir s’engager. Etre talentueux implique désormais les deux. Aimer notre job ne suffit plus – nous devons aussi apprendre à le quitter. Et si aimer correctement est difficile, partir correctement l’est encore plus.

Au moment de faire vos chaleureux adieux, souvenez-vous que, lorsque vous quittez un job bien-aimé, rien ne vous oblige à voyager léger. Emportez tout ce que vous pouvez, pour être sûr de ne pas laisser une partie de vous-même. Prêtez attention au travail que vous continuerez à faire, même ailleurs, et réfléchissez à la manière dont il pourrait être développé maintenant qu’il n’est plus limité par votre job. Dites aux personnes que vous souhaitez garder dans votre vie professionnelle que votre relation ne s’arrête pas là, et qu’elle pourra peut-être même se développer d’autres manières. Si vous savez déjà comment, dites-leur, cela vous fera autant de bien qu’à eux. Si vous aimez faire des listes, n’hésitez pas à en dresser une du travail et des gens que vous souhaitez emmener avec vous.

Enfin, tournez-vous vers l’entreprise. Vous avez beau avoir choisi de la quitter, vous pouvez conserver les habitudes et les valeurs qu’elle vous a enseignées. C’est toute la beauté de l’identification – vous n’avez pas à la rendre à la sortie avec votre ordinateur portable et votre badge. Nombreux sont ceux qui portent dans leur cœur leur passage dans des entreprises qu’ils ont quittées depuis longtemps, et qui leur restent fidèles parce qu’elles les ont aidés à découvrir qui ils étaient, ce qu’ils pouvaient accomplir, et où ils pouvaient ensuite aller. Jennifer Petriglieri et moi-même avons proposé le terme « lieux de travail identitaire » pour qualifier ces organisations. Les talents volages de notre époque les trouvent attractives précisément parce qu’elles offrent un sentiment de mobilité. Elles continuent à faire partie de nous longtemps après notre départ.

Il est parfois nécessaire de quitter un emploi ou une entreprise pour aimer davantage son travail. Parce qu’il existe une chose essentielle pour bien aimer, qu’aucun job ni aucune organisation ne pourront jamais enseigner – la capacité à être seul. Une fois que l’on en est capable, l’amour n’est plus une nécessité, mais une joie. Nous sommes alors plus susceptibles de fixer des limites, ce qui facilite notre rapprochement avec les autres et notre travail sans pour autant nous abandonner totalement. Quand nous pouvons être seuls, nous sommes moins exposés à l’exploitation et aux abus. Nous pouvons réellement nous impliquer, car nous ne sommes pas prisonniers.

Je ne crois pas que cela vaille la peine d’aimer un emploi ou une entreprise : ils ne vous rendront pas votre amour. Mais s’ils vous aident à trouver du travail et des gens qui valent la peine d’être aimés, alors ils ont été bénéfiques, et méritent d’être honorés, lorsque vous y travaillez encore, et après que vous les avez quittés.

source: HBR, le 07/11/2019 par Gianpiero Petriglieri


Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page